Et puis tu grandiras. Très vite je serais plus ton héros. P’têt même que tu m’interdiras de t’appeler mon p’tit loup. C’est dommage mais c’est comme ça. T’iras vers tes amis, des qui sont là pour de vrai, pas comme ceux que je t’inventais quand t’étais petit, qui te suffiront plus. T’iras vers les filles, et peu à peu tu oublieras les histoires que je te racontais, le soir avant de t’endormir, les aventures qu’on vivait et qui peuplaient tes nuits d’enfant. Alors je prendrais un peu de distance, pour que tu puisses vivre ta vie. Que tu puisses faire par toi-même tes premières erreurs, et découvrir que la vie, bah c’est pas du tout ce que je t’avais raconté.
Que les filles c’est pas des princesses, c’est juste des filles. Qu’elles sont aussi bêtes que les garçons et pas plus mystérieuses. Tu verras, y’a pas tellement de différences. Que l’amitié c’est pas pour toujours. Que ça s’en va, ça se perd de vue, et que parfois même ça revient. Pas souvent. Et puis l’amour, bah c’est pas une province. C’est pas un royaume qu’on pourrait occuper comme ça toute une vie. C’est rien qu’un trône éjectable finalement. Et puis à la fin de l’histoire, tu te rendras compte avec le recul qu’ils vécurent pas tellement heureux, et que sûrement qu’ils eurent même pas d’enfants.
Non, la vie c’est pas ce que je t’ai raconté. Y’a pas de grande aventure, y’a pas de grands mystères, y’a pas de sens caché. Y’a pas de grand méchant non plus. Y’a même pas de gentils. Y’a que des hommes, et puis y’a des femmes aussi, tous un peu barjots sur les bords, ou même pas qu’un peu. Y’a des peuples et y’a des gens qui se comprennent pas. Qui peuvent pas se comprendre parce qu’ils vivent pas la même chose, parce qu’ils sont différents et que la fierté leur monte au nez. Alors y se déchirent et y se tapent dessus, pour faire valoir leurs droits soi-disant qu’y z’en auraient plus que les autres, parce que d’après eux tout leur est dû, pour la simple et bonne raison qu’ils sont là présents, et c’est comme ça. Alors voilà.
Je sais même pas si dans tout ça on peut dire que y’a du bon ou du mauvais. En tout cas y’a du triste. Et surtout y’a du beau. Y’a du beau, y’a beaucoup de beau. Y’a que ça de vrai, le beau. Y’a qu’à ouvrir les yeux. La vie c’est ça. Des apparences, des sons, des odeurs… Des corps qui se rencontrent et qui se touchent pour frémir ensemble un instant, et se séparer, recommencer ailleurs. La vie c’est des jolies choses. C’est la joie de les contempler. C’est la joie de les avoir. Puis c’est la tristesse de les avoir perdu. Et puis c’est tout. C’est tout. Tout le reste c’est de la névrose. Sous la surface c’est les viscères et rien d’autre que la maladie.
Mais ça aussi, tu vois mon loulou, c’est la vie.
Faut faire avec. Faut s’en accommoder.
Ou alors laisser tomber.