Le Filet

J’ai confectionné pour elle
Une robe en fer barbelé
Un long filet froid et cruel
Pour la maintenir enfermée
Immobile frêle et fidèle
Comme un oiseau estropié
Que l’on recueille qu’on attelle
Avant de le mettre sous clef

Son petit cœur rebelle
En vient à s’envoler
Dans sa poitrine belle
À la peau convoitée
Enveloppe mortelle
D’une âme épouvantée

Moi qui ai déchiré ses ailes
Si je dois aussi l’écorcher
Ou la livrer nue à mon zèle
Pour qu’elle se couche à mes pieds
Cédant aux assauts de mon fiel
En m’implorant de l’achever
Rempli d’un songe criminel
Je ne souhaite qu’être aimé

  • 2017 / 2019

Donner des coups

Enfin que dire de nous ? Nous ne jouons simplement pas la même musique. Nos guitares et nos violons se désespèrent en grinçant dans l’obscurité des caves du cerveau, et sur un air de solitude immortelle. La grande valse de la vie ne sonne que pour soi tout seul, chaotique et stupide. Et puis nos danses, même nos danses à deux, irrémédiablement, elles sont aveugles, sourdes, muettes – assassines. On se frotte sans se toucher, on s’entend sans s’écouter, on se parle sans se comprendre, on se regarde sans se voir. On se prend, sans rien donner. On s’aime, sans rien aimer finalement que des reflets de soi. Et des morceaux de rêves éparpillés…

Après quoi, tout au bout de la performance, quand la scène est vide et bien finie, quand on en a terminé de réciter nos partitions les plus ordinaires, et les plus tristes, quand les masques trop las ont glissé jusqu’à terre, quand nos visages sont enfin nus, et nos yeux déshabillés, démaquillés de tout espoir, des illusions fondues en larmes, nos déguisements pendus dans la remise, et nos véritables corps exposés, nus aussi, assis sur la banquette défoncée, épuisés dans les coulisses de l’existence, alors il nous reste plus qu’à nous taire et nous tuer – nous entretuer. Pour des bêtises. Pour rien. Puisque c’est tout ce que nous savons faire, au fond. Donner des coups. Alors on le fait.

Et c’est comme ça. Comme ça que le glas sonne. Nos guerres sont le résultat de notre nature discordante, d’une vision tordue de nos intérêts divergents. Et tous nos morts le sont pour des querelles intestinales, des sursauts d’appétits. Et toute la vie n’est qu’une bataille de viscères, une longue et douloureuse entaille, ventre contre ventre, entrailles entrouvertes et qui s’emmêlent suintantes, indissociables et oubliées dans l’interminable mêlée de l’Histoire.

  • 2019

Loulou

Et puis tu grandiras. Très vite je serais plus ton héros. P’têt même que tu m’interdiras de t’appeler mon p’tit loup. C’est dommage mais c’est comme ça. T’iras vers tes amis, des qui sont là pour de vrai, pas comme ceux que je t’inventais quand t’étais petit, qui te suffiront plus. T’iras vers les filles, et peu à peu tu oublieras les histoires que je te racontais, le soir avant de t’endormir, les aventures qu’on vivait et qui peuplaient tes nuits d’enfant. Alors je prendrais un peu de distance, pour que tu puisses vivre ta vie. Que tu puisses faire par toi-même tes premières erreurs, et découvrir que la vie, bah c’est pas du tout ce que je t’avais raconté.

Que les filles c’est pas des princesses, c’est juste des filles. Qu’elles sont aussi bêtes que les garçons et pas plus mystérieuses. Tu verras, y’a pas tellement de différences. Que l’amitié c’est pas pour toujours. Que ça s’en va, ça se perd de vue, et que parfois même ça revient. Pas souvent. Et puis l’amour, bah c’est pas une province. C’est pas un royaume qu’on pourrait occuper comme ça toute une vie. C’est rien qu’un trône éjectable finalement. Et puis à la fin de l’histoire, tu te rendras compte avec le recul qu’ils vécurent pas tellement heureux, et que sûrement qu’ils eurent même pas d’enfants.

Non, la vie c’est pas ce que je t’ai raconté. Y’a pas de grande aventure, y’a pas de grands mystères, y’a pas de sens caché. Y’a pas de grand méchant non plus. Y’a même pas de gentils. Y’a que des hommes, et puis y’a des femmes aussi, tous un peu barjots sur les bords, ou même pas qu’un peu. Y’a des peuples et y’a des gens qui se comprennent pas. Qui peuvent pas se comprendre parce qu’ils vivent pas la même chose, parce qu’ils sont différents et que la fierté leur monte au nez. Alors y se déchirent et y se tapent dessus, pour faire valoir leurs droits soi-disant qu’y z’en auraient plus que les autres, parce que d’après eux tout leur est dû, pour la simple et bonne raison qu’ils sont là présents, et c’est comme ça. Alors voilà.

Je sais même pas si dans tout ça on peut dire que y’a du bon ou du mauvais. En tout cas y’a du triste. Et surtout y’a du beau. Y’a du beau, y’a beaucoup de beau. Y’a que ça de vrai, le beau. Y’a qu’à ouvrir les yeux. La vie c’est ça. Des apparences, des sons, des odeurs… Des corps qui se rencontrent et qui se touchent pour frémir ensemble un instant, et se séparer, recommencer ailleurs. La vie c’est des jolies choses. C’est la joie de les contempler. C’est la joie de les avoir. Puis c’est la tristesse de les avoir perdu. Et puis c’est tout. C’est tout. Tout le reste c’est de la névrose. Sous la surface c’est les viscères et rien d’autre que la maladie.

Mais ça aussi, tu vois mon loulou, c’est la vie.

Faut faire avec. Faut s’en accommoder.

Ou alors laisser tomber.

  • 2012

Pauvre bonheur

Le bonheur n’est pas le fait des ambitieux
Il se constitue des choses de l’ordinaire
Comme d’un regard charmé à l’horizon des cieux
C’est avant tout la volonté de bien faire
Qui exclut absolument l’obsession du mieux
Et se moque du progrès et de ses affaires

Le bonheur n’est pas le fait des ambitieux
Il ne permet pas le doute et l’orgueil
Et se dérobe à l’impie jusqu’au cercueil
Lui préférant les humbles et les besogneux

Le bonheur est un pauvre bonheur
Qui s’offre à celui qui sait se contenter
Et fuit les grignoteurs de part de marché
Il requiert de nous l’effort d’accepter
Et commande à chaque nombril de s’oublier
Le bonheur est d’être en toutes choses à l’heure

C’est un plaisir d’artisan et d’artificier
Celui de la tâche rondement menée
Le bonheur c’est d’avoir l’envie d’agir
Suer un peu s’enivrer et enfin atterrir

Un bonheur c’est bien simple et c’est peu
Un corps une voix une odeur de la lumière
Un sourire entrevu et qui parait sincère
Le bonheur n’est pas le fait des ambitieux

C’est pour chaque instant une idée de la joie
Un motif de satisfaction qui vaille pour soi
Considérant les plaisirs encore à venir
Plutôt que ceux que le temps a fini d’enfouir
Être heureux c’est oublier d’avoir peur
Le bonheur est un pauvre bonheur

  • 2012

Aspérités Contiguës

Un sexe énorme retombe sur le monde dans un fracas de trompettes. Ce qu’il dégueule en rugissant engorge les océans sous un marc de sperme glacé. Les femelles détalent en boitant et leurs ballons bien chauds s’embourbent après elles. Les maris révulsent en fumant des cigares grossiers. On voudrait ne pas voir comme tout sombre et comme tout flambe. Comme un air de banjo vous écorche un genou et que la terre s’arrête bientôt de rouler sur ses noces, ça ne fera pas de nous de plus beaux asticots. Notre pain de ce jour vire au sulfure, au fétide, à la mouette. On départ sans ramper pour des urnes bizarres. C’est le temps des sympathies idiotes et des memento mori. C’est l’heure des glissades néantes et du marbre abruti.

Je vais de ce saut vous léser l’anus, vous laminer l’étroit canal aux grumeaux confinés dans la nuit, vous palper le trognon ranci et vous rendre à la vie, mon oiseau de fortune, ma colombe élimée, triste figure de fiel, et de forme incertaine. Par-delà les nuages crayeux laissez-moi vous hisser, nous irons tous deux au ciel en plongeant d’ici, rien que pour vriller vers des lunes acides, incrustées de sang, des croûtes seyantes à nos mains craquelées, retournées dans la fange boueuse de nos ébats saccadés, comme un cœur de chien qui se prend à rêver des délices insouciants saupoudrés à la table des dieux chaussés de fonte. De cet acier cinglant et cruel qui crève les ventres gonflés d’ordures et de sel.

Pense aux esclaves qui n’ont pas notre joie, ce torchon puant qui grésille entre nous, à ces airs de silences insinués de saletés, et à ces sillons de sang souillés pilonnant les cieux.

  • 2017

Il ne faut pas

Syracuse il ne faut pas se fier
À tes envolées fleuries à tes longues enjambées
À tes grands yeux d’idiote et tes moues dévoyées

Syracuse il ne faut pas te croire
Captive esclave jamais d’aucun cœur d’aucune foire
D’aucune sorte d’empire d’aucun fol espoir

Syracuse il ne faut pas te dire
Que l’on te refuse ou que l’on te soupire
Loin de te plaire que de te conter l’avenir

Syracuse il ne faut pas vouloir
Te retenir te clouer sur ton perchoir
Si l’on craint que tu ne reparaisse plus le soir

Syracuse il ne faut pas chercher
À retourner tes couleurs à te métamorphoser
Tu peux bien rester pour toujours l’oiseau de mes pensées

Tu peux bien me plaindre aussi moi qui ne sais que ramper
Et qui ne fais que tremper dans la boue des baisers du passé
Quand tu dépasses en riant des cimes aussitôt oubliées

Syracuse dans un souffle disparaît
Syracuse qui ne reviendra jamais
À nouveau tenter mon cœur et fermer mes volets

  • 2017

Quatre à la suite

Gravité

L’esprit pesant le sombre et triste sire solitaire
Le rôdeur inquiet a le front las et les maux amers
Gémissant de tout le jour regard et traits affligés
Tout prêt à s’écrouler sous un fardeau noir d’idées

Confusion

Un songe vague et lubrique écume des corps dépecés
Dans la confusion du souvenir visages et sourires
Ce sont visions fiévreuses et traîtresses vanités
Les soupirs et tout ce qu’il faut encore souffrir

Le long du chemin

On évolue en aveugle et sans se douter on bouscule
Tyrans et tortionnaires le préjugé et le parjure
Sur les grèves trompeuses les griefs s’accumulent
Et les cœurs fragiles se retournent entre les murs

L’Abîme

Un soir que la nuit durait depuis des jours déjà
Toute grouillante en sourdine de rumeurs malsaines
Au bout d’un quai c’est ma détresse qui se traîne
Et s’abîme parmi les flots en les prenant pour toi

  • 2012

Paradis Artificiels

Puis c’est le goût des autres de s’élancer au dehors et dans la nuit, dans les abattoirs nocturnes pour jeunesse suintante, de se dissoudre au fin fond des paradis artificiels, de se liquéfier la cervelle sur des mélodies grinçantes, de tendre la main vers le premier coït aperçu. Et pour quelque argent relâché, on s’abîme en compagnie d’inconnus déchirés comme soit, la conscience pulvérisée dans l’espace et dans la lumière, ravagée par le son d’une bacchanale électronique au tempo destructeur. On se presse les uns les autres comme au jour du jugement dernier, on se pousse et on s’entasse dans le bruit et la fureur pour grappiller un peu de fête à la fin de sa débâcle hebdomadaire. On vient reprendre sous les lasers enragés, les néons cinglants, et contre toute cette chair mouvante en cadence, le goût des choses insouciantes, un fragment d’enfance et de folie. Avant de retourner vers sa nuit.

On vient se perdre et s’offrir à la fois, à qui voudra bien ramasser nos décombres, on se frotte les débris d’une innocence arrachée, pour retrouver l’amour qui nous a fuit, retrouver la foi qui fait défaut, depuis que les mots du père, que les bras de maman ne suffisent plus. Tout ça peut-être pour un quart d’heure, une heure, sous les coups de boutoirs d’un amant éphémère, et dans les feux cruels d’une animale vérité. Les bons qu’à baiser, les bons qu’à s’effriter, en attendant le moisi et la mort, c’est bien nous. C’est nous qu’on n’a pas les moyens de s’élever, quoiqu’on voudrait des fois, par-delà notre humaine condition, au-delà des contraintes intestinales, et des appétits bestiaux. On n’a que le rêve et la fuite pour s’imaginer au-dessus du lot dérisoire et violent qui bouffe toutes les créatures à ramper sur la terre depuis les siècles des siècles. On en oublie le gouffre qui murmure à force de s’illusionner, on s’en croirait presque éternel. C’est indécent d’être aussi vain. Et c’est nous, pourtant.

  • 2017

Les Enfants Amants

Deux âmes d’enfants font de pittoresques amants
S’avouant pour toujours et à tout jamais aimants
Ils se promettent à qui mieux mieux l’éternité
Et se veulent les perfections les plus empruntées

L’un dans l’autre ils mêlent au plaisir
Un regard d’innocence que contredit le désir
Voilà ressemblants jusqu’au bout de leurs soupirs
Deux soldats bataillant pour le même empire

C’est aussi dans la chair la plus disposée
Que le fer ardent de l’amour une fois retiré
Laisse les plaies les plus dures à refermer

Alors l’amour comme la mer au large se retire
Et sur les rivages encore humides on peut lire
L’attente vague et secrète de la prochaine marée

  • 2012 / 2019

Regardez les petits soldats

Regardez les petits soldats de chair
Qui s’en vont tout tremblants dans la nuit
En gémissant timides quelques prières
Mais le ventre plein d’une énorme envie

Regardez les petits soldats sans armes
Quand ils défilent impeccables sous la pluie
Ils vont un à un succomber sous les charmes
De ces filles qu’on achète après minuit

Regardez les petits soldats transis
Que l’on voit grimper à l’assaut du plaisir
Comme ils montent à l’assaut de l’ennemi
Pour une guerre impossible à finir

Regardez les petits soldats qui crèvent
Agonisant la gueule dans les labours
On dirait qu’ils meurent aux bras d’un rêve
Une vie rompue par le vin et l’amour

Regardez-les bien et ne dites jamais de vous
Qu’il n’y en a point de plus malheureux
Pensez à ces hommes tombés dans la boue
Et dont jamais personne ne fut amoureux

  • Mars 2019